14
À sept heures du matin, le dimanche 26 juin, on sonna à la porte de l’appartement de Wallander, sur Mariagatan, dans le centre d’Ystad. Brutalement arraché à son profond sommeil, il crut tout d’abord que c’était le téléphone qui sonnait. Ce n’est que quand retentit la seconde sonnerie qu’il se leva rapidement, chercha sa robe de chambre qui avait à moitié disparu sous le lit et alla ouvrir. Devant sa porte, se tenait sa fille Linda, en compagnie d’une amie que Wallander n’avait jamais vue. C’est à peine s’il reconnut sa propre fille dont les longs cheveux blonds étaient teints en rouge et coiffés en brosse. Mais le soulagement et la joie des retrouvailles furent les plus forts. Il les fit entrer et salua l’amie de Linda qui se présenta sous le nom de Kajsa. Wallander avait mille questions à poser. Comment se faisait-il qu’elle vienne sonner à sa porte aussi tôt un dimanche matin ? Y avait-il vraiment des trains qui arrivaient si tôt ? Linda expliqua qu’elles étaient à Ystad depuis la veille, mais qu’elles avaient passé la nuit chez une camarade de classe de Linda, dont les parents étaient absents. Elles allaient rester là-bas la semaine suivante. Elles étaient venues tôt, car Linda, qui avait lu les journaux, pensait que ce ne serait pas facile de voir son père. Wallander leur prépara un petit déjeuner avec les restes qu’il trouva dans son réfrigérateur. Assis à la table de la cuisine, Wallander apprit qu’elles passaient une semaine à répéter une pièce de théâtre dont elles avaient écrit le texte. Puis elles partiraient pour Gotland, suivre un stage de théâtre. Il écouta Linda, essayant de dissimuler son inquiétude de la voir abandonner son vieux rêve : devenir artisan tapissier et s’installer à Ystad en ouvrant son propre atelier, une fois sa formation terminée. Il ressentit également un fort besoin de parler de son père avec elle. Il savait qu’ils étaient tous les deux très proches. Il était certain que, lors de son séjour à Ystad, elle ne manquerait pas de lui rendre visite. Il profita du moment où Kajsa alla aux toilettes.
— Il se passe tant de choses, dit-il. J’aurais besoin de parler avec toi tranquillement. Rien que toi et moi.
— C’est ce que je préfère chez toi, répondit-elle. Que tu sois toujours si content de me voir.
Elle inscrivit son numéro de téléphone sur un papier et lui promit de venir quand il l’appellerait.
— J’ai lu les journaux, dit-elle. C’est vraiment aussi terrible qu’ils le disent ?
— C’est pire que ça. J’ai tant à faire que je ne sais pas trop comment je vais m’en sortir. Tu as vraiment eu de la chance de me trouver à la maison.
Ils restèrent à bavarder jusqu’à huit heures passées. Puis Hansson appela. Il se trouvait à l’aéroport de Sturup, où le psychologue de Stockholm venait d’arriver. Ils convinrent de se retrouver à neuf heures au commissariat.
— Il va falloir que j’y aille, dit-il à Linda.
— Nous aussi, répondit-elle.
— Et cette pièce de théâtre que vous allez jouer, elle a un nom ? demanda Wallander quand ils furent dans la rue.
— Ce n’est pas une pièce, c’est un spectacle de cabaret.
— Ah bon, répondit Wallander, essayant de trouver la différence entre un spectacle de cabaret et une pièce de théâtre. Et il n’a pas de nom ?
— Pas encore, dit Kajsa.
— On peut le voir ? demanda Wallander avec précaution.
— Quand nous serons prêtes, dit Linda. Pas avant.
Wallander offrit de les déposer quelque part.
— Je vais lui montrer un peu la ville, dit Linda.
— D’où viens-tu ? demanda-t-il à Kajsa.
— De Sandviken. C’est la première fois que je viens en Scanie.
— Un partout. Je ne suis jamais allé à Sandviken.
Il les regarda disparaître au coin de la rue. Le beau temps se maintenait. Il allait faire encore plus chaud aujourd’hui. La visite inopinée de sa fille l’avait mis de bonne humeur. Même s’il ne s’était pas habitué à toutes les expériences étranges auxquelles elle se livrait quant à son apparence. En la voyant ce matin, il s’était rendu compte que ce que les gens lui avaient dit était vrai. Linda lui ressemblait. Pour la première fois, il avait reconnu son propre visage dans celui de sa fille.
Quand il arriva au commissariat, il sentit que l’apparition de Linda lui avait redonné de l’énergie. Il allongea le pas dans le couloir, pensant en se moquant de lui-même qu’il martelait ses enjambées comme le pachyderme qu’il était, et il lança son blouson en entrant dans son bureau. Il saisit le combiné du téléphone avant même de s’asseoir et pria la standardiste d’appeler Sven Nyberg. Juste avant de s’endormir la veille, il lui était venu une idée qu’il voulait essayer. Il fallut cinq minutes à la fille pour localiser Nyberg, cinq minutes pendant lesquelles Wallander s’impatienta.
— C’est Wallander. Tu te souviens que tu m’as parlé d’une bombe à gaz lacrymogène que tu as trouvée derrière les barrières sur la plage ?
— Bien sûr que je m’en souviens.
Nyberg était apparemment de mauvaise humeur.
— Je me suis dit qu’il fallait analyser les empreintes digitales qu’il y a dessus. Et les comparer avec ce que tu pourras trouver sur ce bout de papier taché de sang que j’ai ramassé pas loin de la maison de Carlman.
— Ce sera fait. Mais on l’aurait fait de toute façon, sans que tu aies besoin de le demander. Je te préviendrai dès que j’aurai les résultats.
Wallander reposa d’un geste vif le combiné du téléphone, comme pour confirmer son énergie retrouvée. Il alla à la fenêtre et regarda le vieux château d’eau tout en planifiant sa journée. Il savait d’expérience qu’il y a toujours quelque chose qui vient perturber les projets. S’il arrivait à faire la moitié de ce qu’il avait prévu, ce serait déjà très bien. À neuf heures, il sortit de son bureau, alla se chercher un café et entra dans une des petites salles de réunion, où Hansson l’attendait avec le psychologue de Stockholm. Un homme d’une soixantaine d’années, nommé Mats Ekholm. Il avait une poignée de main énergique et il fit tout de suite bonne impression à Wallander. Comme beaucoup de policiers, Wallander se méfiait toujours de l’apport des psychologues dans les enquêtes criminelles. Mais il s’était rendu compte, notamment en en discutant avec Ann-Britt, que son attitude négative n’était pas fondée et qu’elle n’était qu’un préjugé. Maintenant, puisqu’il se retrouvait assis à la même table que Mats Ekholm, autant lui permettre de montrer l’étendue de ses connaissances.
Le dossier de l’enquête était devant eux, sur la table.
— Je l’ai parcouru, dit Mats Ekholm. Mais je propose que nous commencions par parler de ce qui ne s’y trouve pas.
— Tout est là, fit Hansson, étonné. S’il y a une chose que les policiers ont bien dû apprendre, c’est écrire des rapports.
— Tu veux savoir ce que nous pensons, intervint Wallander. C’est ça ?
Mats Ekholm approuva de la tête.
— Une règle élémentaire de psychologie dit que les policiers ne cherchent jamais dans le vide. Si on ne sait pas à quoi ressemble un meurtrier, on lui imagine un remplaçant. Quelqu’un dont la plupart des policiers ne pensent voir que le dos. Mais souvent le double présente des ressemblances avec le meurtrier qui finit par être arrêté.
Wallander reconnut son propre fonctionnement dans la description de Mats Ekholm. Quand une enquête était en cours, il avait toujours en filigrane l’image projetée d’un criminel. Il ne cherchait jamais dans le vide absolu.
— Deux meurtres ont été commis, poursuivit Mats Ekholm. La méthode est la même, même s’il y a des différences intéressantes. Gustaf Wetterstedt a été tué par-derrière. Le meurtrier l’a frappé dans le dos, pas à la tête. Ce qui est intéressant aussi. Il a choisi la solution la plus difficile. Ou alors a-t-il voulu éviter d’abîmer le crâne de Wetterstedt ? Aucune idée. Après le meurtre, il lui découpe le cuir chevelu et se donne le temps de cacher le corps. Si nous passons ensuite à ce qui est arrivé à Carlman, il est facile de trouver les ressemblances et les différences. Carlman a, lui aussi, été frappé à coups de hache. Lui aussi, on l’a scalpé. Mais il a été frappé par-devant. Il a dû voir l’homme qui l’a tué. Le meurtrier a, qui plus est, choisi une occasion où nombre de gens étaient à proximité. Le risque d’être découvert était donc important. Il n’a pas fait l’effort de chercher à dissimuler le corps. Il savait que cela ne servirait pas à grand-chose. La première question qu’on peut se poser est : qu’est-ce qui est le plus important ? Les ressemblances ou les différences ?
— Il tue, dit Wallander. Il a choisi deux personnes. Il planifie. Il a dû aller voir la plage devant la maison de Wetterstedt à plusieurs reprises. Il s’est même donné le temps de dévisser une ampoule pour que la zone entre le jardin et la mer reste dans l’obscurité.
— Est-ce que nous savons si Gustaf Wetterstedt avait pour habitude de faire une promenade le soir sur la plage ? demanda Mats Ekholm.
— Non, dit Wallander. Nous l’ignorons. Mais tu as raison, nous devrions nous en assurer.
— Continue, dit Mats Ekholm.
— À première vue, la situation semble tout à fait différente pour ce qui est de Carlman. En plein milieu d’une foule de gens pendant une fête de la Saint-Jean. Mais peut-être le meurtrier a-t-il raisonné autrement ? Peut-être s’est-il dit qu’il pouvait profiter du fait que, souvent dans les fêtes, plus personne ne voit rien ? Rien n’est plus difficile que d’obtenir des détails quand une foule doit essayer de se souvenir.
— Pour répondre à cette question, il faut chercher quelles autres possibilités il avait, dit Mats Ekholm. Arne Carlman était un homme d’affaires, qui bougeait beaucoup. Toujours entouré de gens. Peut-être la fête était-elle malgré tout un véritable choix ?
— La ressemblance et la différence, dit Wallander. Laquelle des deux est déterminante ?
Mats Ekholm fit un geste évasif des mains.
— Il est, bien sûr, trop tôt pour y répondre. La seule chose que nous pouvons supposer, c’est qu’il organise ses crimes très méticuleusement, et qu’il a beaucoup de sang-froid.
— Il prend des scalps, dit Wallander. Il collectionne les trophées. Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Il exerce un pouvoir, dit Mats Ekholm. Les trophées sont la preuve de ses actes. Pour lui, ce n’est pas plus extraordinaire qu’un chasseur qui accroche les bois d’un animal sur son mur.
— Mais ce choix de scalper, poursuivit Wallander. Pourquoi celui-là, précisément ?
— Ce n’est pas si bizarre que ça, dit Mats Ekholm. Je ne veux pas jouer au cynique. Mais quelle partie de l’homme convient le mieux comme trophée ? Le corps humain pourrit. Un bout de peau avec des cheveux, ça se conserve plus facilement.
— Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser aux Indiens.
— On ne peut pas exclure que ton criminel fasse une fixation sur un guerrier indien, dit Mats Ekholm. Les gens qui se situent dans un fonctionnement psychique limite choisissent souvent de se dissimuler sous l’identité de quelqu’un d’autre.
— Un fonctionnement limite, dit Wallander. Qu’est-ce que ça implique ?
— Ton criminel a déjà commis deux meurtres. Nous ne pouvons pas exclure que son objectif soit de continuer, puisque nous ne connaissons pas ses motivations. Cela veut dire que, selon toute vraisemblance, il a dépassé une barrière psychique, c’est-à-dire qu’il s’est libéré de tous les interdits normaux. N’importe qui peut commettre un meurtre, un assassinat, sur une impulsion. Un meurtrier qui réitère ses actes obéit à de toutes autres lois psychiques. Il se trouve dans un territoire flou où nous ne pouvons le suivre qu’en partie. Ses limites, c’est lui-même qui les a déterminées. Extérieurement, il peut vivre une vie tout à fait normale. Il peut se rendre à son travail tous les matins. Il peut avoir une famille et passer ses loisirs à jouer au golf ou à cultiver ses plates-bandes. Il peut s’asseoir dans son canapé, entouré de ses enfants, et regarder les actualités qui parlent des meurtres qu’il a lui-même commis. Il peut sans se trahir un instant s’effarer du fait que des gens comme ça puissent être en liberté. Il a deux identités différentes qu’il maîtrise entièrement. Il tire ses propres ficelles. Il est à la fois marionnette et marionnettiste.
Wallander réfléchit en silence à ce que Mats Ekholm venait de dire.
— Qui est-il ? De quoi a-t-il l’air ? Quel âge a-t-il ? Je ne peux pas rechercher un cerveau malade qui a en plus l’air tout à fait normal vu de l’extérieur. Je ne peux que rechercher une personne.
— C’est trop tôt pour répondre, dit Mats Ekholm. Avant d’esquisser un profil psychologique de meurtrier, il me faut un certain temps pour m’imprégner du dossier.
— J’espère que, pour toi, ce dimanche-ci n’est pas un jour de repos, dit Wallander, très las. Nous aurions besoin de ce profil le plus vite possible.
— Je vais essayer de faire quelque chose pour demain. Mais il faut que vous soyez bien conscients des difficultés, toi et tes collègues, que vous sachiez que la marge d’imprécision est importante, et qu’il peut y avoir beaucoup d’erreurs.
— Je m’en rends tout à fait compte. Mais nous avons vraiment besoin de toutes les aides possibles.
Une fois l’entretien avec Mats Ekholm terminé, Wallander sortit du commissariat. Il descendit vers le port et alla sur la jetée où, quelques jours plus tôt, il avait tenté de rédiger son discours en l’honneur de Björk. Il s’assit sur le banc et regarda un bateau de pêche qui sortait du port. Il déboutonna sa chemise et ferma les yeux. Des rires d’enfants tintèrent dans le voisinage. Il essaya de chasser toutes ses pensées pour se borner à savourer la chaleur du soleil. Mais au bout de quelques minutes, il se leva et quitta le port. Ton meurtrier a déjà commis deux meurtres. Nous ne pouvons pas exclure que son intention soit de continuer, puisque nous ne connaissons pas ses motivations. Les mots de Mats Ekholm auraient pu être les siens. Son inquiétude ne cesserait que quand ils auraient mis la main sur le meurtrier de Gustaf Wetterstedt et d’Arne Carlman. Wallander se connaissait bien. Sa force résidait dans le fait qu’il n’abandonnait jamais. Et qu’il faisait subitement preuve d’une clairvoyance aiguë. Mais son point faible était aussi très facile à identifier. Il ne pouvait empêcher sa responsabilité professionnelle de se transformer en engagement personnel. Ton meurtrier, avait dit Mats Ekholm. On ne pouvait pas mieux parler de son point faible. L’homme qui avait tué Wetterstedt et Arne Carlman, il s’en sentait vraiment responsable. Qu’il le veuille ou non.
Il remonta dans sa voiture et décida de suivre le programme qu’il s’était fixé dans la matinée. Il se rendit à la villa de Wetterstedt. Les barrières sur la plage avaient disparu. Göran Lindgren et un homme âgé qu’il supposa être son père étaient en train de poncer leur bateau. Il ne se soucia pas d’aller les saluer. Il avait gardé le trousseau de clés et alla ouvrir la porte. Le silence était assourdissant. Il s’assit dans un des fauteuils du salon. Seuls des bruits lointains de la plage lui parvenaient. Que pouvaient révéler les objets ? Le meurtrier était-il déjà entré dans la maison ? Il remarqua qu’il avait du mal à maîtriser ses pensées. Il se leva et se dirigea vers la grande baie vitrée qui donnait sur le jardin, la plage et la mer. Gustaf Wetterstedt avait dû venir s’asseoir ici bien des fois : le parquet était usé à cet endroit précis. Il regarda par la fenêtre. Quelqu’un avait fermé l’eau de la fontaine du jardin, nota-t-il. Il laissa errer son regard et retrouva le fil de sa pensée. Mon meurtrier était installé sur la colline qui surplombe la maison de Carlman, pour surveiller la fête. Il peut s’y être rendu plusieurs fois. De là, il exerçait ce pouvoir qui est de voir sans être vu. La question est maintenant de savoir où se trouve la colline de laquelle tu pouvais avoir la même vue sur Gustaf Wetterstedt. D’où pouvais-tu le voir sans être vu ? Il fit le tour de la maison en s’arrêtant devant chaque fenêtre. De la fenêtre de la cuisine il regarda longuement deux arbres qui poussaient en dehors du terrain de Wetterstedt. Mais c’étaient de jeunes bouleaux, qui n’auraient pas supporté le poids d’un homme.
Ce n’est qu’une fois dans le bureau qu’il eut le sentiment d’avoir peut-être la réponse. Du toit du garage il était possible de voir directement dans la pièce. Il sortit de la maison et fit le tour du garage. Il constata qu’un homme jeune, en bonne condition physique, pouvait sauter, s’accrocher à la gouttière et se hisser sur le toit. Wallander alla chercher une échelle qu’il avait repérée de l’autre côté de la maison. Le toit était recouvert d’un vieux revêtement goudronné. Comme il n’était pas certain du poids que le toit pourrait supporter, il se déplaça à quatre pattes jusqu’à un endroit d’où il pouvait voir le bureau de Wetterstedt. Il chercha ensuite méthodiquement le point le plus distant de la fenêtre et avec une vue parfaite. Il resta à quatre pattes et examina le revêtement goudronné. Il aperçut presque aussitôt des entailles en forme de croix. Il passa ses doigts sur le revêtement. Quelqu’un avait fait des entailles avec un couteau. Il jeta un regard alentour. Personne ne pouvait le voir, que ce soit de la plage ou de la route qui passait au-dessus de la maison de Wetterstedt. Wallander redescendit et remit l’échelle à sa place. Puis il examina soigneusement le sol, juste à côté des fondations en pierre du garage. La seule chose qu’il trouva, ce furent quelques feuilles sales, arrachées à un journal de bandes dessinées, amenées par le vent dans le jardin. Il retourna dans la maison. Le silence était toujours aussi total. Il monta au premier. Il vit par la fenêtre de la chambre à coucher Göran Lindgren et son père en train de remettre le bateau à l’endroit. Il constata qu’il fallait bien être deux pour le retourner.
Pourtant, il savait que le meurtrier avait agi seul, ici, et quand il avait tué Arne Carlman. Même s’il avait peu d’indices, son intuition lui disait que c’était une seule et même personne qui s’était assise sur le toit du garage de Wetterstedt et sur la colline de Carlman.
J’ai affaire à un meurtrier solitaire, se dit-il. Un homme seul, un déséquilibré qui tue des gens à coups de hache pour ensuite prendre leurs scalps comme trophées.
Il quitta la maison de Wetterstedt à onze heures. Quand il ressortit au soleil, il ressentit un intense soulagement. Il roula jusqu’à la station-service OK et alla manger au self. Une jeune femme installée à une table voisine le salua. Il lui rendit son salut, sans savoir qui elle était. Ce n’est qu’après son départ qu’il se souvint qu’elle s’appelait Britta-Lena Bodén et qu’elle travaillait à la banque. Sa mémoire remarquable l’avait beaucoup aidé au cours d’une précédente enquête.
À midi, il était de retour au commissariat. Ann-Britt vint à sa rencontre dans le hall.
— Je t’ai vu arriver par la fenêtre, dit-elle.
Wallander comprit qu’il s’était passé quelque chose.
Tendu, il attendit ce qu’elle allait dire.
— Nous avons un lien, dit-elle. Dans la fin des années soixante, Arne Carlman a fait de la prison. À Långholmen. Gustaf Wetterstedt était alors ministre de la Justice.
— Ce n’est pas suffisant comme lien.
— Je n’ai pas fini. Arne Carlman a écrit à Gustaf Wetterstedt. Et quand il est sorti de prison, ils se sont rencontrés.
Wallander resta sans bouger.
— Comment as-tu appris ça ?
— Viens dans mon bureau, je vais t’expliquer.
Wallander savait ce que ça signifiait.
S’ils avaient trouvé le lien, ils avaient fait une brèche dans l’écorce extérieure de l’enquête, la plus dure.